Job est assis sur notre balcon avec son manteau. Il a un livre dans les mains et le soleil dans la figure. C’est comme ça qu’on lui fait prendre l’air tous les jours. Job est en quarantaine absolue et nous aussi.
Ça a commencé il y a exactement une semaine et plus la crise du Covid-19 s’intensifie, plus nous sommes convaincus de la justesse de cette mesure radicale. Job appartient à un groupe à haut risque. Ses poumons sont comprimés par une scoliose sévère et une pneumonie pourrait lui être fatale.
Plus effrayante encore que le virus lui-même est la pensée qu’il soit malade (nous sommes peut-être déjà infectés) alors que plus aucun lit d’hôpital n’est disponible. J’ai lu avec anxiété les terribles histoires en Italie où les docteurs doivent choisir qui sera traité et qui ne le sera pas. On appelle ça le « Triage ». La question cruciale est : quel patient a la plus grande chance de survie ? Un docteur examine d’abord les chances de chacun puis il décide de qui va être traité.
Imaginez : nous arrivons à l’hôpital avec un Job malade. Un enfant fragile, dans une chaise roulante, avec une santé délicate. Niveau physique : zéro, comme toujours. Tout, à l’intérieur de son corps dévasté, est, depuis sa naissance, sens dessus-dessous. Une simple intubation est déjà problématique pour notre fils. Je vois les photos de patients italiens allongés sur le ventre pour être ventilés. À cause de son dos arqué, Job ne peut pas se mettre sur le ventre !
Ces images me terrifient. Une fois j’ai dit que j’espérais que Job partirait avant nous pour que nous soyons toujours là pour nous occuper de lui. Ce serait pourtant terriblement amer, après 16 années de soin, qu’il soit victime de ce virus. Car si le choix devait être entre lui et un autre patient, notre fils n’aurait pas l’ombre d’une chance. En même temps, imaginez ce patient inconscient, tranquillement assis à un café le week-end dernier, discutant sur le fait qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Au même moment, nous étions en train d’isoler notre fils de tout risque potentiel, nous ne sommes même pas sortis pour faire les courses. Cette angoisse me garde éveillée chaque nuit.
Annemarie Haverkamp (1975) est un écrivain Néerlandais qui écrit des rubriques pour le quotidien national Algemeen Dagblad et le quotidien régional De Gelderlander. Depuis 16 ans, elle décrit chaque semaine sa vie avec Job, son fils handicapé.
Traduction : Lydie Garcia